Elle fait la première page de tous les sites d’actualité (pas seulement musicale) depuis quelques jours. Avec sa ballade à cœur ouvert « Voilà », Barbara Pravi représentera la France à la 65e édition de l’Eurovision, le 22 mai prochain à Rotterdam. Mais aujourd’hui, c’est d’un autre titre de Barbara Pravi – sortie en mars 2020 – que nous voudrions vous parler. Une chanson qui aurait bien mérité de faire la une de l’actualité, elle aussi, tant elle est puissante et nécessaire. Remettons-la un tout petit peu dans la lumière. « Chair » est notre choix de la semaine.
Sur une instrumentale minimale au piano, Barbara Pravi dresse un récit des plus personnels : celui de l’avortement qu’elle a subi plus jeune, et qui s’est avéré particulièrement douloureux, physiquement comme psychologiquement. Là où la jeune femme aurait dû trouver – auprès du corps médico-social – de l’écoute et un accompagnement, elle a récolté insultes, dévalorisation et culpabilisation. Un épisode traumatique qui a profondément impacté sa vie et surtout, sa construction en tant que femme.
Les trois couplets – parlés plus que chantés – dépeignent trois étapes de ce parcours : à 17 ans le traumatisme, à 20 ans la dévalorisation et à 26 ans, la reconstruction.
" T'as 20 ans 20 ans c'est beau non ? Pourtant tu sais pas bien, La confiance à zéro Tu bois des verres en trop pour te sentir un peu moins, Tu flambes, tu fais la belle, tu fais comme si de rien Mais au fond, tu te vois comme ils te regardent, eux Sans valeur Sans avenir Sans douceur Sans plaisir "
Les séquelles sont multiples pour l’entrée de l’artiste dans la vie adulte : rapport violent au sexe, oubli dans la fête et l’alcool, mal-être enfoui sous les apparences, fuite en avant pour ne pas faire face aux traumas… Une relation conflictuelle à son corps et aux autres s’installe. Mais quelques années plus tard, viendra heureusement le temps de l’acceptation.
" Maintenant tu te sens prête Tu t'entends résonner Et puis t'abandonner Maintenant tu t'écoutes Tu sais que t'as le droit de te laisser aller Et de te dire "Je t'aime" D'offrir à ta peau des tas d'autres souvenirs De l'amour, du respect, des baisers, du désir D'offrir à ta peau des tas d'autres souvenirs Amour, respect, baisers, désir "
Chaque chapitre de vie est entrecoupé d’un refrain aux chœurs célestes, qui scande, comme un mantra : « Ma chair, mon corps, ma chair, mon corps… »
Le pont reprend ce motif de manière plus collégial :
" Sans le savoir, je m'avançais,
J'avançais vers ma chair chérie,
Sans le savoir, tu avanceras,
T'avanceras vers ta chair, ma chérie,
Maintenant qu'on sait, nous avançons,
Avançons vers nos chairs chéries,
Avançons vers nos chairs guéries,
Avançons vers nos chairs "
« Chair » est un récit poignant de réappropriation de son corps, de restauration de sa confiance en soi et en les autres. Ce qui est en jeu ici, c’est le droit inaliénable des femmes à l’avortement, sans qu’aucun jugement de valeur ne soit émis à leur encontre. L’épreuve est déjà suffisamment difficile sans qu’ait à peser sur elle le poids de la culpabilité ou sans que la responsabilité ne leur incombe seule (jusqu’à nouvel ordre, il faut être deux pour concevoir un enfant !). Même en 2021, ce droit fondamental est sans cesse menacé, et il recule – comme il y a quelques jours en Pologne. D’où la nécessité de se souvenir des paroles de Simone de Beauvoir : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant.«
Ce que l’on aime aussi dans « Chair, c’est que – même tiré de leur contexte – les sublimes mots des refrains et du pont lancent une invitation plus globale aux femmes ; celle d’être indulgentes avec elles-même et d’avancer à la rencontre de leurs corps, avec bienveillance.
Derrière cette chanson – écrite « à 5 coeurs » – se cache aussi un peu de la magie de Raphaël et Théo Herrerias, les frères de Terrenoire, dont nous allons sans doute vous reparler sur La Ritournelle. En attendant, on a envie d’adresser un immense merci à Barbara Pravi pour son courage, pour le message fabuleux d’espoir qu’elle envoie dans cet chanson. Nos meilleurs ondes l’accompagnent jusqu’à l’Eurovision !
LES PAGES DE BARBARA PRAVI : SITE, INSTAGRAM, TWITTER, FACEBOOK, YOUTUBE
sous la plume de Coraline, le 16 février 2021.